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In-Memoriam - Frère Jean-Marie MICHEL

26 avril 2024 Portrait
Publié par Jean-Paul FAYOLLE
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Un professeur qui enseigne une matière ardue (la mécanique théorique) pendant
quarante années (1955-1997) et qui parallèlement mène une carrière de chercheur
qui lui vaudra une notoriété internationale ce n’est pas courant à l’ÉCAM.

C’est pourquoi nous lui rendons hommage.

Marie-Thérèse MICHEL

 

Jean-Marie est né en 1932 dans un petit village lorrain où ses parents tenaient une ferme.

Pensionnaire au collège à Nancy, il quitte la Lorraine pour poursuivre ses études : Besançon, Lille, le Luxembourg, Paris. Il s’engage dans la vie religieuse au sein de l'institut des Frères des Écoles Chrétiennes et devient professeur à l'ÉCAM en 1955.

Sa formation scientifique fait de lui un artilleur pendant la guerre d’Algérie.

Enseigner toujours, mais aussi étudier encore : il prépare une thèse à Grenoble et entre au CNRS comme chercheur tout en gardant l’enseignement à Lyon.

Il quitta la vie religieuse quand elle ne coïncida plus à ce

pourquoi il l'avait choisie.

 

Transmettre ses connaissances, accompagner ses étudiants, mener des sujets de recherches, diriger une équipe de chercheurs : il aima profondément cette riche vie professionnelle où ses qualités humaines et intellectuelles se déployèrent.

 

Nous nous sommes mariés en 1973, Marie et Étienne sont nos deux enfants.

Bien que formant de futurs ingénieurs c’est à toute activité manuelle qu’il préféra les courses en montagne, le ski, les randonnées, la lecture, les rencontres et l’engagement au service du Christ et de l’Église.

 

Pendant plusieurs années la maladie a réduit ses facultés physiques mais sans atteindre son humour, son sourire, sa modestie et sa force intérieure.

Jean-Pierre FRANC, LEGI, CNRS

 

Jean-Marie MICHEL a eu une riche carrière scientifique que je voudrais retracer en qualité d'ancien collègue de travail.

Il était directeur de recherche au CNRS et a fait carrière dans un laboratoire de recherche sur le domaine universitaire de Saint-Martin d'Hères, le LEGI, Laboratoire des Écoulements Géophysiques et Industriels.

C'est dans les années 60, alors qu'il était enseignant à l'ÉCAM, qu'il fait le choix de s'orienter vers une carrière dans la recherche scientifique.

Il se rapproche alors de l'Institut de Mécanique de Grenoble qui était un pôle de recherche très attractif avec en particulier Louis NÉEL, lauréat du prix Nobel de Physique en 1970, et qui sera président de son jury de thèse d'État.

C'est ainsi que Jean-Marie MICHEL s'oriente vers la mécanique des fluides qui restera son domaine de prédilection tout au long de sa longue carrière scientifique et plus précisément vers un phénomène assez mal connu à cette époque que les scientifiques appellent "cavitation".

Sous l'impulsion des professeurs Antoine CRAYA et Jacques DODU qui devient son directeur de thèse, il se voit confier un projet scientifique particulièrement ambitieux qu'il mettra une dizaine d'années à développer : la construction d'un gros moyen d'essais, un tunnel hydrodynamique.

Ces points en témoignent :

  • L'équipe de recherche dont il avait la responsabilité, l'équipe "Cavitation", se renforce avec l'arrivée de nombreux jeunes doctorants qu'il va accompagner avec succès jusqu'à la soutenance de leur thèse ;

  • Il est invité à donner des conférences et des cours sur la cavitation dans de nombreux pays (Brésil, Maroc, Chine, etc.) à côté des cours qu'il donnait à Grenoble et à Lyon ;

  • Il publie ses travaux dans de nombreuses revues et en particulier en anglais dans des revus de haut niveau, ce qui assure une large diffusion de ses résultats de recherche ;
  • Il développe des collaborations à l'international, tout particulièrement avec plusieurs collègues japonais et met en place avec le professeur KATO de l'université de Tokyo des échanges scientifiques réguliers pendant plusieurs années entre la France et le Japon ;
  • Il organise à Grenoble en 1998 un Symposium International sur la Cavitation rassemblant près de 200 scientifiques du monde entier parmi lesquels des chercheurs de grand renom ;

  • En 1995, il est co-auteur d'un livre en français sur la cavitation et publie en 2005 un livre en anglais sur le même sujet, ouvrage qui fait à ce jour référence dans le monde entier et qui sera traduit quelques années après en chinois, ce qui témoigne de l'impact international considérable de ses travaux de recherche.

 

Au-delà de ses grandes qualités professionnelles, Jean-Marie MICHEL était un homme intègre avec lequel il était particulièrement agréable de travailler. Il était très respectueux de l'autre, toujours soucieux de ne pas indisposer, de ne pas froisser, de ne pas faire ombrage.

 

Il a eu une très riche carrière scientifique. Il est remarquable de constater qu'il a acquis au cours des années une renommée internationale sans jamais l'avoir sollicitée.

 

Il n'était pas carriériste. Il disait lui-même :

"J'essayais de me préserver de cette tare [il parlait du carriérisme] en évitant par exemple lors des apéritifs faisant suite à des réceptions de personnalités, de fréquenter ostensiblement des personnes haut placées de mon laboratoire dont il me semblait que l'ambition personnelle avait besoin d'être vue pour exister. J'allais plutôt former groupe avec les personnes les plus humbles, secrétaires, techniciens et ouvriers, dont la conversation était plus intéressante, plus variée et plus gaie."

Bernard PINATEL, ÉCAM 71, directeur des Études (1989-1994) et directeur (1995-2009)

 

J'ai eu le privilège de rencontrer Jean-Marie MICHEL dans des situations très différentes.

Tout d'abord, lorsque j’étais élève, Jean-Marie nous enseignait la mécanique, dont la mécanique des fluides. Présent à l’ÉCAM jusqu’à deux jours et demie il regagnait Grenoble pour ses activités de recherche le reste de la semaine. Il arrivait au 40 montée st Barthélémy le dimanche soir et couchait au foyer pour être à pied d’œuvre le lundi matin. Ainsi nous avions quelquefois l’opportunité de passer la soirée du dimanche avec lui. Les discussions étaient toujours très intéressantes.

Professeur il avait une faculté d’expliquer de la même façon, les choses simples et les démonstrations complexes, toujours d’humeur égale.   C’était souvent déroutant pour les étudiants que nous étions.

À partir de 1989, étant directeur des études, j’eus à lui aménager ses horaires de cours : sa discrétion et sa régularité étaient un régal pour l’organisateur des études que j’étais.

En 1994, c’est en tant que directeur de l’ÉCAM que j’eus le plaisir d’accueillir Jean-Marie.

En 1997, alors qu’il quittait l’ÉCAM, je me risquais à quelques vers :

 

…Tous vos élèves ont, un jour, été subjugués

Par la facilité déconcertante que vous manifestez

À expliquer dans un identique contexte

Les exercices simples et les problèmes complexes.

 

Du savant, vous avez le front et le calme,

Du pédagogue, vous avez la patience, véritable arme,

Du voyageur, vous avez le record Grenoble-Lyon,

Du mécanicien, vous avez l’élasticité et l’adaptation…

 

Je garde de lui le souvenir d’un humaniste convaincu, d’un grand scientifique et d’un homme attachant par sa gentillesse et sa courtoisie.

Michel DENIS, ÉCAM 69, directeur des Études (1994-2001)

 

Tous ceux qui l'ont eu pour professeur ont apprécié ses qualités de rigueur, de clarté et de grande culture scientifique qu’il appliqua à l’enseignement de tous les fondamentaux de la mécanique : statique, cinématique, dynamique et milieux continus.

Son goût pour la montagne était connu de tous :

un problème sur les chocs lui fut inspiré de son expérience d'une chute en montagne.

Il nous montra que les paramètres de sa chute (hauteur, élasticité de la corde, intensité du freinage de son compagnon de cordée et inclinaison du rocher où se termina la chute) étaient proches des conditions idéales d'en sortir indemne ! Ce qui fut le cas.

 

C’était un passionné de pédagogie, heureux d'éveiller les intelligences, exigeant (exigence qu'il s'appliquait d'abord à lui-même dans la préparation de ses enseignements) et prodigue en explications et en précisions pour peu qu'on l'interroge.

 

Un souvenir marquant se situe en mai 1968 alors le monde étudiant, mais pas que, était agité ; les cours à l'ÉCAM avaient été suspendus. 

Quelques élèves cependant étaient restés. Ils organisaient des rencontres de relecture des évènements. Je me souviens de Jean-Marie MICHEL y assistant et donnant son analyse de la trop grande distance entre les dirigeants et les citoyens. Ses remarques étaient très pertinentes et sa réflexion faite avec beaucoup de recul tranchait avec les discours hâtifs et sans retenue relayés par les médias. Pour l'étudiant que j'étais, le professeur brillant avait endossé l'habit de l'éducateur.

Un autre souvenir se situe dans un tout autre cadre. L'hiver 1980, les élèves avaient invité (c'est assez rare pour le signaler) les enseignants de l'ÉCAM à une sortie de ski. Jean-Marie était présent. Nous avons skié dans une excellente ambiance. Un slalom clôturait le week-end. Le samedi soir, nous avons partagé une fondue dans un climat joyeux et détendu, dans un esprit convivial dont il a fortement apprécié la proximité avec les étudiants.

Pierre-Marie GUERITEY, ÉCAM 68, directeur des études (2001-2007) et Michèle GUERITEY

 

Aujourd’hui, à l’ÉCAM les enseignants sont enseignants-chercheurs, docteurs, et pour certains, habilités à diriger des recherches (HDR). Au début des années 1960, l’école se remettait à peine d’avoir quitté Erquelinnes en 1940, et de son installation à Lyon au pensionnat des Lazaristes en 1946. Ses dirigeants étaient encore les Frères des Écoles Chrétiennes qui avaient accompli ce transfert, attachés à un modèle « Arts et Métiers » fait de grands ateliers, de quelques laboratoires et de professeurs exclusivement voués à enseigner, sans activité de recherche.

Qu’un professeur jeune et brillant aille faire de la recherche à Grenoble a pu sembler alors contraire aux intérêts de l’École ; lors du décès du frère Vincent, directeur des études, en 1969, certains auraient souhaité que Jean-Marie MICHEL abandonne ce qu’il avait commencé pour prendre plus de responsabilités dans l’École…

Il a persisté dans la voie qu’il avait choisie, mais pendant plus de quarante ans il a continué à assumer à l’ÉCAM, au-delà d’un temps complet, une charge d’enseignement de grande qualité dans des matières difficiles, tout en menant à bien sa carrière de chercheur et sa vie familiale à Grenoble. Il n’a cessé peu à peu son activité à l’École que lorsque les 3 ou 4 personnes nécessaires pour reprendre ses enseignements ont pu être recrutées ; il quittera totalement l’enseignement à l’ÉCAM en 1997.

Nous avons assisté aux obsèques de Jean-Marie MICHEL : autour de sa famille, l’église de Voreppe était pleine. Pendant la cérémonie religieuse, simple et émouvante, plusieurs personnes ont porté témoignage de ses qualités scientifiques et humaines et de son implication dans la vie paroissiale, avant l’inhumation sous le soleil de février en haut du cimetière du Bourg.

Christian BROUAT, ÉCAM 70

 

En septembre 1966, lorsque je suis rentré comme étudiant en 1ère année, j’ai eu la chance d’avoir Jean-Marie MICHEL comme professeur.

La clarté, la rigueur et la puissance de son esprit, ses qualités d’homme, firent de lui un professeur qui ne laissa aucun de ses élèves et collègues indifférents.

Au-delà de toutes ces références et en toute simplicité, il a su construire avec ses étudiants des relations amicales et favoriser des échanges qui les ont aidés à grandir dans l’apprentissage de leur vie d’Homme.

Sans nul doute, l’ÉCAM d’aujourd’hui porte dans ses gênes la trace de son engagement pour elle.

Pendant quelques années, nos deux familles passèrent ensemble les vacances d’été dans les Alpes. Les journées étaient fort occupées entre promenades familiales, visites touristiques et courses en haute montagne. Comme ce fut rassurant d’avoir Jean-Marie pour compagnon de cordée !

Atteint par la maladie qui l’affaiblissait chaque jour davantage il a affronté l’épreuve avec un courage qui a fait notre admiration.

Jean-Paul FAYOLLE, ÉCAM 70

 

J’étais en classe de seconde aux Lazaristes quand j’eus mon premier contact avec Jean-Marie Michel ; un contact par la physique interposée car il posa le problème de physique de l’examen de fin d’année.

Nous fûmes doublement impressionnés ; une première fois car il était professeur à l’ÉCAM, un mirage pour nous, et une seconde quand nous reçûmes les copies et découvrîmes une notation sur 40 !

Je n’imaginais pas alors la suite de notre relation.

Cinq années plus tard je devenais un de ses élèves.

C’était l’époque du bouillonnement de l’après Concile. J’étais membre du groupe liturgique du lycée : Jean-Marie fut séduit par ce qui s’y passait et le rejoignit.

Il y rencontra ma sœur qui devint son épouse.

Face à son départ se pose cette question : qu’avons-nous perdu ?

Qui avait-il donc chez Jean-Marie MICHEL qui nous laisse le cœur amer de ne plus y avoir accès ?

Je crois qu’il était de ces êtres qui, par ce qu’ils sont, par ce qu’ils font, aident à vivre, aident à grandir ceux et celles qu’ils côtoient.

Il a éclairé, un jour ou l’autre, d’une façon ou d’une autre, nos vies.

Martin POCHON, sj, ÉCAM 72

 

Que de souvenirs encore bien vifs je garde de cette amitié. Que dire ? Ce que je garde c’est, comment dire, sa manière d’être au monde et aux autres. Une attention fine et lumineuse.

Je l’ai d’abord eu comme professeur, et ce qui était frappant c’est qu’il ne se servait pas de son statut d’enseignant-chercheur pour affirmer une autorité personnelle. Je crois qu’il nous présentait le plus simplement possible les belles équations qui permettaient de rendre compte des phénomènes. Il essayait de nous partager son admiration devant cette nature qui se laissait modéliser et devant l’intelligence humaine qui était capable de la saisir. Que de finesse et que de simplicité dans l’expression. Je crois me souvenir de l’appréciation de son président de jury lors de sa soutenance de thèse, le prix Nobel de physique Louis NÉEL : « Fin théoricien, doublé d’un expérimentateur minutieux ! »

Son appartement de Grenoble était décoré de beaux tourbillons de bulles cavitationnelles prises dans son laboratoire.

Nous en sommes arrivés à faire de la montagne ensemble. Il l’habitait avec le même état d’esprit : intelligence et admiration.

C’est dans les montagnes de l’Oisans et du Massif du Mont-Blanc que j’ai fait la connaissance de sa future épouse ; je fus très ému d’être témoin de leur mariage.

Je crois que c’est avec le même esprit qu’il abordait les personnes : finesse, attention, admiration, intelligence, besoin de rationalité mais aussi d’affection, avec souvent une pointe d’humour face aux propos un peu décalés de quelques interlocuteurs.

L'Association remercie toutes les personnes ayant participé à ce texte et tout particulièrement Monsieur Jean-Paul FAYOLLE, qui nous a transmis le recueil de ces textes et témoignages en l'hommage de Monsieur Jean-Marie MICHEL.




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