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[TALENT D'ECAM #01] Alain FABRE 1974 AML

03 décembre 2021 Portrait
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Une interview signée Joseph NOC 1974 Arts et Métiers Lyon

La promotion 1974 Arts & Métiers Lyon est active, soudée et solidaire, bref… un exemple !

En son sein, des personnalités fortes et inspirantes. ECAM Alumni (EA) vous propose de découvrir l’interview « Talent d’ECAM » d’Alain FABRE (AF) par Joseph NOC (JN) tous deux ECAM 1974 Arts & Métiers Lyon.

 

LA PAROLE À JOSEPH

(EA) Votre rencontre ... 

(JN) : Nous avons fait nos études ensemble et sommes sortis en 1974 diplômés ingénieurs Arts et Métiers ECAM Lyon.

J’ai pensé à lui pour cette interview Talent d’ECAM pour plusieurs raisons.

Alain a beaucoup de qualités. Il est très apprécié au sein de la promotion. Nous nous rencontrons régulièrement. C’est l’un des « moteurs » du groupe. En 2017, nous avons organisé ensemble un séjour d’une semaine à Rodez.

Je trouve son parcours de carrière très intéressant ! Alors, m’aidant de la trame « Talent d’ECAM », je l’ai interviewé. Voici son témoignage.

 

LA PAROLE À ALAIN 

 (JN) Alain, peux-tu te présenter en quelques mots ? 

(AF) Je suis né à Montpellier. J’ai rejoint l’Aveyron car mon père avait repris la propriété familiale.

Scolarité à Rodez : de la 9ème à la terminale, entièrement chez les frères des écoles chrétiennes à St joseph puis à l’ECAM à Lyon ou j’ai passé cinq années couronnées par l’obtention du diplôme d’ingénieur Arts et Métiers. Ma formation a toujours été tournée vers la technique (bac série E). A l’ECAM, j’ai apprécié la découverte de métiers très intéressants tels la forge, la menuiserie, la fonderie etc. Puis vint le service militaire. Je l’ai effectué comme « coopérant » en Côte d’Ivoire professeur de mathématiques et de physique.

De retour en France je suis rentré naturellement dans le monde automobile car c’est la mécanique qui me plaisait. J’ai exercé trois ans chez Chausson, d’abord un an à Asnières (au nord de Paris) et deux ans à Reims dans le domaine des radiateurs de refroidissement pour voiture.

Puis, m’étant marié avec une Montpelliéraine, nous sommes descendus dans le sud et installés à Valréas dans le Vaucluse.

J'ai d’abord occupé pendant 8/9 ans un poste de directeur de production dans une entreprise qui était leader en France pour les écrins de bijouterie et les coffrets de parfumerie : travail du carton, du papier, des tissus, de l'injection plastique, du thermoformage. Je n’avais rien appris de tout ça pendant mes études mais c’était passionnant.

Puis, je suis parti chez un concurrent à Paris qui fabriquait uniquement la partie supérieure des flacons pour la parfumerie (essentiellement de l'injection plastique avec des décors par timbrage).

Au bout de 2 ans et demi/3 ans, j’ai été appelé à rejoindre l’entreprise familiale. Mon grand-père est l’un des fondateurs de RAGT – entreprise de semences de grandes cultures de dimension internationale (siège Rodez).

Deux ans et demi après mon arrivée, le président est décédé subitement et j'ai dû prendre la Présidence de la société ! En 1989, l’entreprise comptait déjà 700/800 personnes et faisait un chiffre d'affaires de l'ordre de 200 millions d'euros avec une partie significative à l'export.

De par mon métier précédent et ma formation, je n'étais pas vraiment formé pour diriger cette entreprise. Ma légitimité : je m'appelais Fabre et j’étais fils d'agriculteur.

Heureusement, les équipes de direction étaient très attachées à l'entreprise et très fonctionnelles. Cela m'a aidé à occuper ce poste et à le conserver jusqu'à ma retraite. Après 15 ou 20 ans, j’ai eu la possibilité de transformer le Conseil d'Administration en Directoire puis Conseil de Surveillance que j'ai présidé jusqu'à mon départ à la retraite (il y a 6/7 ans).

 (JN) Tu as créé une start-up, RAGT Énergie : peux-tu nous en parler plus précisément ? 

(AF) Il y a 12 ans, j'ai senti une opportunité à utiliser les coproduits des végétaux de grandes cultures.

Ma plus-value d'ingénieur Arts & Métiers ECAM dans un milieu agricole (où il n’y a que des ingénieurs agro’ et des chercheurs en génétique) est d'avoir eu l'idée de chercher à valoriser sous forme énergétique des choses qui n'étaient pas regardées par les autres professionnels. Leurs recherches ne visent qu’à améliorer la productivité et la résistance aux insectes ou aux maladies des plantes. Ils n’ont pas d’autres priorités.

Pour être plus explicite, ce qui intéresse l'agriculteur dans un champ de blé, c'est la graine de blé c'est-à-dire le produit, le fruit que l'on obtient.

Par contre pour les coproduits, il n'y avait pas d'utilisation valorisée à l’exception d'en faire du compost. Avec deux ingénieurs - un agro et un chimiste – nous avons créé une Start up pour essayer de faire des « pellets » utilisables dans les chaudières à granules.

Au lancement, l'avantage que nous avions était le côté « renouvelable » encore assez précurseurs à l'époque. Nous récupérions un produit qui avait bénéficié de la photosynthèse et qui avait transformé sous forme de carbone et d'oxygène le CO2, pour produire une énergie thermique renouvelable. Les concessionnaires français vont produire ces fameux pellets (appelées CALYS) qui n'ont pas d'équivalent en Europe. 

Dans tous les types de cultures ou d'industries il y a toujours des coproduits qui peuvent brûler. La seule chose qui ne brûle pas, c'est tout ce qui est minéral. Nous avons donc déposé des brevets sur des additifs qui, suivant la composition du mélange de coproduits de végétaux, venaient corriger deux défauts principaux que sont le mâchefer (c’est-à-dire la fusion des cendres) ou encore les fumées acides. Cette recherche nous a amené à déposer des brevets pour lesquels nous sommes consultés et avons déjà des applications très pratiques.

Cela représente 12 années d’études qui ont porté sur près de 800 biomasses différentes.

RAGT Energie comptent aujourd’hui une dizaine de personnes et ne fait que de la recherche. La production des « pellets » est assurée par des concessionnaires et des usines françaises qui possèdent des presses à granulés, suivant les formulations établies par RAGT Energie. 

Les points forts :

- Production « Made in France » sans équivalent en Europe.

- Organisation régionale en circuits courts => Sortis des usines et chargés directement sur des camions. Produire de l'énergie dans une région et l'utiliser dans cette région est très avantageux (réduction des coûts financiers et écologiques liés au transport) : appelé économie circulaire.

- Alternative à l’achat d’énergies fossiles étrangères (charbon, gaz, pétrole) ce qui constitue un avantage financier important car aucune devise supplémentaire n’est à sortir pour se chauffer.

- Bilan carbone positif car ce produit vient des végétaux qui par le fait de la photosynthèse fabriquent de l'oxygène qui nous aident, comme on le sait, à respirer et entretient la vie.

Nous travaillons en étroite collaboration avec un certain nombre de centres de recherche notamment l'École des Mines d'Albi mais aussi le CEA (devenu ces dernières années : Commissariat à l’Énergie Atomiques et Alternatives).

Quelques exemples de projets en cours…

- Sous l'Arche de la Défense à Paris, il existe un réseau de voies ferrées nécessaires au transport du pétrole alimentant 4 chaudières au fuel. Dès 2022, 2 des 4 chaudières en activité vont être transformées pour recevoir nos granulés à partir de coproduits de végétaux (voir annexe).

- Contacts établis avec la CPCU (Compagnie Parisienne de Chauffage Urbain) qui représente un marché de 25 à 30 % du chauffage de Paris intramuros.

- EDF souhaite aussi faire des essais sur une usine de production d’électricité actuellement à partir du charbon.

« Ma plus-value d'ingénieur Arts & Métiers ECAM c'est d'avoir l'idée de pouvoir valoriser sous forme énergétique des choses qui n'étaient pas regardées par les autres professionnels »

Annexe Téléchargeable au format PDF: Revues de presse IDEX Agropellets [RÉSEAU DE CHALEUR DE LA DÉFENSE]

 (JN) Pour toi, être ingénieur c'est quoi ? 

(AF) Être ingénieur c'est d'abord être ingénieux.

J'ai eu la chance de côtoyer la mécanique au départ via l’ECAM puis l’industrie manufacturière dans l’automobile puis dans le travail du carton, de l'imprimerie, de l'injection plastique, du thermoformage et celui du tissu.

Un certain nombre de technologies utilisées dans ces industries (ex: les soudures à haute fréquence, l’utilisation de courants de Foucault pour détecter des fissures sur les tuyaux notamment dans les radiateurs de secours des centrales nucléaires) sont facilement accessibles pour un ingénieur ECAM doté d’un esprit de mécanicien.

Ma Start Up (RAGT Energie) est l’illustration de la plus-value de l’ingénieur. A partir d’activité agronomique, un mécanicien a vu l’opportunité de transformer des coproduits en énergie ce qui est très en phase avec l’actualité.

 (JN) De quoi es-tu particulièrement fier ? 

(AF) J’ai la fierté d'avoir suivi une formation ECAM et de la devoir aux Frères des Écoles Chrétiennes*.

Ils m’ont formé depuis la 9ième jusqu'à la terminale, puis en Prépa et en filière Arts et Métiers. 

Fort de cette reconnaissance, j'ai accepté quand je suis revenu à Rodez, de prendre la présidence de L'OGEC : l’organisme de gestion d’un collège/lycée/école de 1500 élèves dont je suis le Président depuis 25 ans. Je cherche aujourd’hui mon successeur mais je veux dire que cet engagement illustre le fait que je dois tout aux Frères dans ma formation. Prendre cette responsabilité ne fut pour moi qu’un juste retour des choses pour les aider dans leur vocation.

*Les frères des écoles chrétiennes sont garants d’un enseignement de qualité et d’une scolarité épanouie destinée à tous. Leur communauté éducative est présente partout en France pour apporter à tous un enseignement et une pédagogie de qualité (projet éducatif Lasallien) - Source https://lasallefrance.fr/freres-des-ecoles-chretiennes/

 (JN) De quoi te sens-tu responsable ? 

(AF) J'ai beaucoup parlé de technique, mais il est évident que l’immense défi est de mener des hommes. J'estime qu’être patron et diriger une entreprise c’est avant tout comprendre les personnes, partager leurs difficultés et surtout leur faire confiance. Aujourd’hui, je conserve uniquement la coprésidence du conseil de surveillance du groupe RAGT - société de 1300 personnes, chiffre d'affaires de l'ordre de 400 millions d'euros dont plus de 50 % à l'export.

Quand les équipes savent que le patron est derrière eux pour les soutenir dans les difficultés ou les challenges, elles apportent beaucoup à l'entreprise. C'est un réconfort d'un côté et de l'autre. Et quand la réussite est là on la célèbre ensemble !

 (JN) Quelles ont été tes préoccupations majeurs dans le monde du travail ? 

(AF) La prise de recul est essentielle lorsqu’on est immergé dans l'activité.

Ecouter et comprendre les aspirations du personnel est indispensable. D’où l’importance de réunions régulières avec les partenaires sociaux.

En même temps, je me suis intéressé à ce qui se passait chez les autres industriels de l'Aveyron.

Au sein de la CCI, j'ai créé un club export qui rassemble pour l'Aveyron une quarantaine d'entreprises. C’est un lieu d’échanges d’expériences, de discussion de pertinences, qui fonctionne depuis huit années à ce jour. Ce club est un moyen de faire partager l'expérience à d'autres entreprises qu’elles démarrent leur histoire à l’export ou non. Je pense que c’est un outil intéressant pour ouvrir sa stratégie, maintenir un lancement, et développer son marché.

 (JN) Dans ton activité, avais-tu des certitudes et des doutes que tu pourrais transmettre 

(AF) Cette question m’amène plutôt à l'intérêt du croisement des formations. Je suis de plus en plus persuadé que le croisement des formations est indispensable au sein des entreprises. Il n'est pas incohérent que dans un monde d'agronomie collaborent ingénieurs, vétérinaires, philosophes ou architectes… La connaissance et l'expérience de chacun dans des métiers qui s'ignorent fait que certains professionnels se posent des questions que d’autres confrères, pourtant experts, ne se posent pas. De fait, des questions qui paraissent au départ anodines ou hors sujet deviennent des perspectives, des opportunités de développement grâce aux experts de ces domaines.

 (JN) Le réseau que l’on se fait tout au long de son parcours est d’une grande diversité.

Les talents y sont cachés partout et partout des talents se révèlent. Qui s’est révélé à toi et t’as inspiré ? 

(AF)Toutes les personnes avec qui j'ai pu travailler sans les connaître intimement ont des hobbies. Certains aiment faire du sport, d'autres de la musique, d'autres du théâtre… Et le fait de le savoir enrichit les conversations. Cela peut même permettre de découvrir des opportunités qu'ils pourraient appliquer dans des réseaux de l'entreprise. 

En ce qui me concerne, je faisais beaucoup de photos en noir et blanc et puis j'avais arrêté. En arrivant à la retraite, j’ai eu l’opportunité de participer au projet du Musée Soulages à Rodez.

Côtoyer le peintre et discuter avec lui m’a amené à me lancer moi-même dans la peinture depuis une dizaine d'années. C’est devenu une passion. J'ai fait plus de 400 tableaux, tous avec une sorte d'inspiration « Soulages » à travers le travail du noir.

Pourquoi cette démarche ?

En tant qu'agriculteur, je suis parti du principe que la terre dont rêve tout paysan c'est la terre noire symbolisée par la terre noire d’Ukraine « le grenier de l'Europe ».

Et, depuis un avion, on voit des champs labourés, hersés, endainés et des formes géométriques avec des reliefs des couleurs différentes. Le mélange du noir « inspiration Soulages » lié à la terre et les formes géométriques laissées par les outils de l’homme trouvent une place sur la toile.

Je m’inspire d’outils que je fabrique et j'utilise la même résine donnant du relief pour faire des tableaux qui sont peints à plat, souvent de grande dimension.

J’ai déposé à l’INPI un nom sur le type de peinture que je pratique : agriart.

 

LE MOT DE LA FIN 

 

 (JN) Alain, pour toi le réseau c'est quoi ? 

(AF) Le réseau d’ingénieurs c'est ce qu'on vit aujourd'hui Joseph et moi et c'est ce que nous construisons tous les jours au sein de notre promotion. Pouvoir échanger avec des collègues qui ont exercé des métiers différents et surtout qui n'ont pas hésité à un moment de leur vie à changer complètement d'orientation.

 (JN) Quel conseil donnerais-tu à la promotion sortante ?

(AF) J'ai déjà dit beaucoup de choses. Ne pas renoncer à un projet parce qu’il implique un déménagement par exemple. Sans quoi vous pourriez faire partie des personnes qui ont des regrets à la fin de leur vie. Pour ma part, j'ai déménagé 7 ou 8 fois et je peux vous garantir qu’il est possible de s'adapter très vite.

N’ayant qu’une seule vie professionnelle, il serait dommage de ne pas tenter plusieurs expériences.

Encore une chose : ce n’est pas forcément les premiers au départ qui seront les premiers tout au long de la vie professionnelle. Il y a une place pour tout le monde. Chaque ECAM a une chance extraordinaire d'avoir un diplôme qui est un excellent point de départ. Vous allez oublier ce diplôme au bout de 4 ou 5 ans mais peu importe, puisque c'est la force de caractère, l’ambition de chacun et les opportunités qui concourent à la réussite d’une vie professionnelle.

 Construire ensemble... Le mot de la fin ! 

(EA) Quel conseil donneriez-vous aux jeunes et moins jeunes qui cherchent leur chemin ?

Alain Fabre et Jospeh Noc (1974 AML) : Ce n’est pas parce qu'on a démarré dans un domaine particulier l'aéronautique, l'automobile, la charpente métallique, l’informatique etc. que nous sommes conditionnés à continuer uniquement dans cette voie. Lorsqu’on vient des Arts et Métiers tout est accessible. Si une opportunité se présente il faut la saisir.

L’esprit d’ingénieur nous apprend surtout à pouvoir nous adapter, justement dans quelque chose qu’on ne nous a pas forcément enseigné.

Apporter sa pierre à l’édifice, participer à l'amélioration des techniques et ne refuser aucune orientation possible de sa vie professionnelle. Nous en sommes l’exemple.

 

- Merci à Alain Fabre et Joseph Noc de s’être prêté au jeu de cette interview « Talent d’ECAM » -

- ECAM ALUMNI -

 

PROCHAINEMENT

Une interview signée Michel DENIS ECAM 1969 AML

Jacques BONDOUX & Jean-Claude BASTIDE

ECAM 1982 Arts et Métiers Lyon

 

 

 

 




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